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Les journalistes et les réfugiés, ce n’est pas qu’une histoire d’amour !

Comme s’il portait un bazzooka, il se rapproche du groupe des exilés avec sa grosse caméra sur l’épaule, suivi d’un énorme micro à peluche, tenu au bout d’une perche par son compère. Sans crier gare et en terrain conquis, avec pour seul prétexte de filmer un couple d’exilés (?) qui déambulent dans le parc. Les mains s’élèvent pour dire non, les corps se tendent. Mais les journalistes continuent d’avancer. « Dégage, je vais te casser la gueule si tu continues » s’agite un des réfugiés, le visage crispé. Heureusement pour le cameraman , les autres le calment très rapidement. Mais il a compris, il recule. Visiblement, il a les pétoches, son regard, anxieux, cherche de l’aide. C’est à son tour d’être mal à l’aise. Quelques instants encore, suspendus on ne sait où, puis les deux journalistes s’en vont. L’incident est clos. Je suis avec deux journalistes de Télérama. Nous aussi, on ne sait quoi faire. Alors, on reste à distance.

Les exilés en ont vraiment gros sur le coeur. Amir (en attente depuis 18 mois d’une réponse de la Préfecture de Paris pour savoir s’il peut déposer un dossier de demande d’asile ! ) nous prend à partie. « Mais, vous vous prenez pour qui, vous les journalistes ? Vous venez, vous prenez ce dont vous avez besoin et puis vous partez. Et nous, qu’est-ce qu’on gagne… Rien. Voire, c’est souvent pire après votre passage, les flics nous harcèlent encore plus… »

Depuis que Besson, le nouveau ministre de l’immigration, est passé un soir de février Place du Colonel Fabien voir les mineurs étrangers laissés à la rue en plein Paris, les journalistes de TF1, M6…, des photographes, des cameramans n’ont cessé de défiler dans le jardin Villemin, baptisé « le Petit Kaboul » (on se croirait dans le film de Costa Gavras !) à la recherche de témoignages.

Aujourd’hui ce qui exaspère les exilés, ce n’est pas tant que les journalistes ne créent aucun lien avec eux – même si cet aspect est parfois dur à vivre pour des personnes au parcours de vie multi-traumatiques et toujours en errance – que l’impression que les journalistes viennent au zoo.

« Les photographes ne nous demandent jamais d’autorisation avant. Il y a quelques jours, il y en a même un qui s’est planqué derrière les fenêtres de l’immeuble, là juste à côté du terrain de sport, raconte Amir en montrant du doigt l’immeuble (une fac je crois). Et puis, ils veulent toujours montrer notre misère. ça va, on en peut plus. On a fuit l’Afghanistan où les journalistes nous traquaient. Nous voilà ici et on les a encore sur le dos. ça suffit ! » Les réfugiés, encore plus que les autres, ont une image à préserver. Et ce n’est pas parce qu’ils sont vulnérables, qu’ils n’ont pas de droit dessus…

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Petit topo sur un grand baratin

Donc, nous voilà assis autour de la table, avec le traducteur afghan et la specialiste du droit d’asile, une jeune femme calme, voire un peu fatiguée en ce milieu de week-end. Elle démarre le topo : « En France, il y a deux sortes d’asile : l’asile politique et l’asile subsidiaire… »  Le traducteur bute sur la traduction, ce mot n’exite pas en farsi (plus tard, c’est le mot « association » qui le mettra en diffuculté car il n’existe pas non plus dans cette langue !) « Plusieurs raisons peuvent motiver une demande d’asile : une persécution personnelle due à sa race, sa religion ou son appartenance à une tribu… » Pas un bruit dans la salle, les exilés sont très attentifs, surtout à partir du moment où elle se met à expliquer concrètement ce qu’ils doivent faire pour demander l’asile en France. « Vous devez aller à la Préfecture retirer un dossier. Celle-ci fera alors une recherche sur le fichier d’empreintes Eurodac pour savoir si la France est responsable de votre demande ».  La Convention Dublin 2 qui régit l’asile en Europe depuis septembre 2003 prévoit, en effet, que les réfugiés doivent déposer leur demande dans le premier pays qui les a identifié. Le seul hic, c’est que la Grèce, principale porte d’entrée pour ces exilés, n’accorde quasiment jamais l’asile. En 2007, seules 146 personnes ont obtenu le statut de réfugié, toutes nationalités confondues ! Ce chiffre, la spécialiste ne leur dira pas, peut-être pour ne pas les déprimer davantage. Mais dans la salle, personne n’est dupe. L’un d’entre eux, un peu plus âgé que la moyenne, prend la parole pour lui faire remarquer que leur expérience de la Grèce, où ils ont quasiment tous laissé leurs empreintes, ne les invite pas vraiment à y retourner. « Là-bas, les flics nous ont tabassé et les camps sont terribles (l’un d’entre eux a même passé 3 mois ne prison). En plus, c’est très malsain, il y a beaucoup de drogue… »

Le traducteur traduit, les bénévoles soupirent et dans les yeux des exilés, c’est l’abattement. Ils ont la confirmation de ce qu’ils savent déjà : l’Europe qui ne peut pas les empêcher de venir, s’est organisée pour ne pas les accueillir. « Karzai a dit à la télé afghane que les droits de l’homme n’existe pas en Occident. Il a raison !  » s’exaspère l’un d’eux. Personne ne lui répond. La spécialiste de l’asile préfère continuer son topo :  » Si la préfecture trouve que vos empreintes ont été prises en Grèce ou en Italie, elle envoie à ce moment-là une demande au pays concerné pour qu’ils vous réadmettent sur son territoire. Elle attend alors la réponse pendant deux mois, et si le pays répond vous devez quitter le territoire français imméditement pour aller déposer votre dossier dans le pays responsable, et en l’absence de réponse, ce qui arrive assez souvent,  vous devez quand même le quitter« . Seule lueur d’espoir : dans le cas où ils décideraient malgré tout de rester en France, pendant encore 6 mois après la demande de quitter le territoire, la France devient alors responsable de la demande d’asile. C’est le cas de l’un d’entre eux, à Paris depuis maintenant plus d’un an, … mais son dossier n’est toujours pas dans les tutaux. Pourquoi ? A ce stade là, il faut déposer des recours, expliquer, argumenter. Bref, c’est toujours pas gagné.

Vous n’avez pas le tournis ? Non, bon, alors, continuons. Dans le cas, plus que rare, où les exilés réussissent à déposer leur dossier d’asile en France, ils doivent dans un délai de quelques semaines remplir un dossier à l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides), accompagné d’un « récit » en français (avec la seule aide des associations ) pour argumenter leur demande. La spécialiste insite : « il faut beaucoup de détails, être très descriptif et compléter ça avec le maximum de documents : des pétitions, des articles de presse, etc, pour prouver que vous avez été persécuté« .

Olivier Jobard/Sipa/MDM

 Olivier Jobard/Sipa/MDM

Les exilés font la moue, l’air perplexe. L’un d’entre eux ose alors : « Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la situation en Afghanistan. Si nous sommes là, ce n’est pas seulement à cause des Talibans ou pour des raisons économiques. Très souvent, ce qui nous fait partir, ce sont des problèmes de violence entre tribus. Des mariages qui tournent mal, des vengeances entres groupes rivaux, des règlements de compte… Comment voulez-vous prouver ça ? » Un autre, légèrement exaspéré, poursuit, « Moi je suis passé devant l’Ofpra et mon dossier a été rejeté. J’ai eu seulement 30 minutes d’entretien et en plus le traducteur était iranien et ne comprenait pas tout ce que je lui disais. Franchement, c’est pas sérieux« . Le traducteur bénévole confirme : « c’est vrai le farsi parlé en Iran et celui en Afghanistan est différent. Moi-même j’ai souvent eu des problèmes. Si en Iran, par exemple, vous demandez des « oeufs », la personne peut sérieusement s’énerver  parce que ça veut dire « couilles » pour eux. Pour demander des oeufs, il faut dire « oeufs de poulet », vous voyez un peu le genre d’incompréhension que ça peut créer… »La spécialiste de l’asile hoche de la tête et d’une voix calme (blasée ?) répond : « oui, je sais, mais il faut savoir que si l’Ofpra refuse votre dossier, vous pouvez réitérer votre demande, et cette fois avec l’aide d’un avocat, devant la Commission nationale du droit d’asile qui… » Bref, welcome au royaume où même Orwel ferait des cauchemars.  L’année dernière l’Ofpra et la Commission nationale du droit d’asile a accordé le statut de réfugié à 300 Afghans. La même année, 3000 environ sont passés par Paris !

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