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Un Afghan de 10 ans dort dans le jardin

Olivier Jobard

Olivier Jobard/MDM/SIPA

La maraude avec Jean-Michel se poursuit à la soupe populaire du Resto du cœur, place Verdun, entre la gare de l’Est et le jardin Villemin. Là aussi, dans la pénombre, l’ambiance est plutôt apaisée. Il y a des vieux, quelques personnes amochées, et puis un couple que je remarque parce qu’ils se mettent à l’écart et sont habillés en veste et gants en simili cuir. Ils ont honte d’être là et en même temps leurs regards par en-dessous expriment du mépris pour ceux qui les entourent. Et bien sûr, il y a pas mal d’exilés. Parmi les bénévoles qui servent à manger (ce soir, c’est hachi parmentier), il y a deux femmes de la quarantaine, résolument apprêtées pour un dimanche soir de décembre, en jupes et boucles d’oreilles, l’une d’entre elles est même joliment maquillée. Nous rencontrons aussi une bénévole irlandaise qui parle farsi. Comme Jean-Michel, elle a l’air très à l’aise avec les jeunes exilés. Depuis un moment, ces deux-là sont en ébullition. Ils viennent de repérer des jeunes mineurs parmi les exilés. L’un d’entre eux a dix ans, un autre en a douze. D’après Jean-Michel, ils ne sont pas accompagnés. Ni une ni deux, il sort des dossiers de sa sacoche : ce sont des documents écrits en farsi qui expliquent leurs droits en France. Mais en attendant que les dispositifs pour mineurs isolés fonctionnent (ce qui peut prendre plusieurs jours), ce soir avec un groupe d’exilés, ils vont sauter par-dessus la grille du jardin Villemin (celui qui longe le Canal Saint-Martin) pour dormir sous le kiosque. Celui qui a dix ans a une épaisse doudoune rouge et à l’air costaud… mais quand même, c’est un peu jeune pour dormir dehors à Paris à la mi-décembre, non ? 

 

 Un Afghan de 18 ans, beau comme un soleil, se rapproche de moi, il parle un peu anglais et a très envie de me parler. Ces grands yeux noirs ont envie de dire plein de chose aussi. « J’ai déjà dépensé 10 000 euros pour venir jusqu’ici… J’ai travaillé en Espagne, je cueillais des oranges et puis j’ai aussi distribué des tracts dans la rue pour des restaurants. Mais l’Espagne ce n’est pas bien, les gens sont malhonnêtes, à plusieurs reprises les patrons m’ont fait travaillé et puis après ils n’ont pas voulu me payer. Je me suis même fait voler mon argent par des jeunes voyous. Là j’en ai eu vraiment marre, j’ai repris la route… » Il dort depuis une semaine dans le jardin, il me dit que ça va, qu’il est content. Je lui demande s’il compte rester à Paris. « Oh oui, Paris, c’est très beau et les gens sont très gentils, le seul problème c’est qu’il n’y a pas de travail ici. Je vais essayer plutôt la Norvège ». Comme s’il me parlait de la porte d’à côté. Et en me regardant bien droit dans les yeux, il m’assure qu’il peut tout faire : du ménage, de la peinture, du bricolage. « I can do everything ». Je suis désolée, je lui explique que je ne peux rien pour lui. Il me sourit et me dit que c’est ok. Il espère juste me revoir demain.

 

Pendant que nous parlons, j’entends un gros boum derrière moi comme un arbre qui vient de tomber par terre. Je me retourne et je vois un homme noir, emmitouflé dans un manteau en laine et une grosse écharpe, à terre. Il était en train de manger et vlan, il est tombé dans les pommes. Tout le monde s’arrête pour voir, mais à part moi, personne ne semble paniquer, pourtant du sang coule de sa tête. Vite, les bénévoles du Resto du Cœur accourent, ils essayent de le soulever, impossible. Dix minutes plus tard, les pompiers sont là, l’enveloppent d’une couverture en aluminium, lui posent un bandage autour de la tête et l’emmènent sur une civière. Depuis un moment, seules quelques personnes regardent encore la scène. J’ai l’estomac dans les tallons, mais visiblement ça n’a coupé l’appétit à personne ici. Presque un épiphénomène…

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